110. Cel que no volh auzir chanssos

Chanson médiévale de troubadours, Occitanie. Par Raimon de Miraval (1165-1229).

1.
Cel que no volh auzir chanssos
De nostra compaignia-is gar,
Q'eu chan per mon cors alegrar
E per solatz dels compaignos,
E plus, per so q'esdevengues
En chansson c'a midonz plagues!
C'autra voluntatz no-m destreing
De solatz ni de bel capteing.

2.
De la bella, don sui cochos,
Desir lo tener e-l baisar,
E-l jazer e-l plus conquistar,
Et apres, mangas e cordos,
E del plus qe-il clames merces!
Que jamais no serai conques
Per joia ni per entresseing,
Si so q'ieu plus vuoill non ateing.

3.
Pauc val qui non es enveios,
E qui non desira-l plus car
E qui no s'entremet d'amar,
Greu pot esser gaillartz ni pros!
Que d'amor ven gaugz e ven bes,
E per amor es hom cortes,
Et amors dona l'art e-l geing
Per que bos pretz troba manteing.

4.
Ben es savis a lei de tos
Qui drut blasma de follejar!
C'om, des qe-is vol amesurar,
Non es puois adreich amoros,
Mas cel q'en sap far necies,
Aquel sap d'amor tot qant n'es:
Eu no-n sai trop ni no m'en feing,
Ni ja no vuoill c'om m'en esseing.

5.
Ben aia qui prim fetz jelos,
Qe tant cortes mestier saup far!
Qe jelosia-m fai gardar
De mals parliers e d'enojos,
E de jelosi'ai apres
So don mi eis tenc en defes
Ad ops d'una, c'autra non deing,
Neis de cortejar m'en esteing.

6.
E val mais bella tracios
Don ja hom non perda son par,
C'autrui benananss'envejar.
Qan Dieus en vol ajostar dos,
De dompna vuoill qe-il aon fes
E que ja no-il en sobre ies,
Per que m'enquier'on vau don veing,
Pus del tot al sieu plazer teing.

(Final.)
N'Audiartz, de vos aî apres
So don a totas sui cortes:
Mas d'una chan e d'una-m feing,
E d'aqella Miraval teing.
E trobaretz greu qi-us n'esseing
D'amar, pus eu de vos n'apreing.

Traduction en français:

1.
Que celui qui ne veut pas écouter des chansons se garde bien de nous joindre, car je chante pour réjouir mon cœur et pour le divertissement de mes compagnons, et plus encore pour qu’il puisse arriver que dans ma chanson je fasse plaisir à ma dame; car je n’ai aucune autre volonté de joie ni de belle conduite.
2.
Je désire que la belle qui occupe mes pensées me tienne auprès d’elle et m’embrasse, et coucher avec elle et obtenir « le surplus» et puis manches et colliers [ses enseignes] et plus encore lui demander la grâce de sa faveur, car je ne serai jamais conquis par les cadeaux ni par les enseignes, si je ne parviens pas à obtenir ce que je souhaite le plus.
3.
Celui qui n’a pas de désir est un vaurien, et celui qui ne désire pas ce qu’il y a de plus raffiné et qui ne s’engage pas en amour ne peut guère être gaillard ni preux; car c’est d’amour que viennent la jouissance et le bien et c’est grâce à l’amour que l’homme est courtois, et l’amour fournit la technique et l’esprit pour sauvegarder la bonne valeur.
4.
Il a bien la sagesse d’un jeune garçon celui qui blâme l’amant pour sa folie; car dès que l’on veut se comporter selon mesure on ne peut pas être un amoureux adroit; en revanche, celui qui sait faire des sottises sait tout ce qu’il faut savoir d’amour: moi, je n’en sais pas trop ni ne prétends le savoir, et je ne veux surtout pas qu’on me l’apprenne.
5.
Bénit soit le premier qui fut jaloux, puisqu’il fit un travail bien courtois; car la jalousie me fait prendre garde aux médisants et aux envieux, et j’ai appris de la jalousie ce qui me permet de me consacrer au profit d’une seule [dame], car je n’en veux pas d’autre, et m’abstiens même de leur faire la cour.
6.
Et mieux vaut une belle trahison par laquelle on ne perd pas sa bonne renommée, que d’être jaloux du bonheur d’autrui. Lorsque Dieu veut créer un couple, je veux qu’il récolte la fidélité féminine et qu’il n’y en ait jamais un excès tel qu’elle me demande où je vais ni d’où je viens, puisque je suis totalement dépendant de son désir.
(Final.)
Monseigneur Audiart, j’ai appris de vous ce qui fait de moi un vrai courtois à l’égard de toutes [les dames] : mais je chante d’une seule [dame] et j’en cache une seule, et grâce à cette dame je suis le seigneur de Miraval. Et vous trouverez difficilement quelqu’un qui puisse vous apprendre l’art d’aimer, puisque c’est de vous que je l’apprends.

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